39 - De 1800 à 2020 : Marins du Loch, marins du Cap
Au Cap-Sizun, pour survivre, depuis des millénaires, l’homme a dû hisser du haut des falaises sa pitance arrachée aux flots. Hisser les paniers de poissons ou les faix ruisselants de goémon. Hisser l’aubaine des épaves ou ses propres embarcations hors d’atteinte de vagues gigantesques. Profitant de la moindre anfractuosité, de la plus petite crique, et grâce à leur connaissance des vents et des courants, les habitants du Loch se sont adaptés à leur environnement minéral.
L’anse du Loc’h signifie l’anse de l’étang en français. Elle est l’anse naturelle la plus importante dans l’immense baie d’Audierne. A ce titre, elle est probablement depuis longtemps un lieu d’échouage privilégié pour les marins locaux.
Port du Loch en 1911 - Peinture sur toile de Henri MORET (Le "Au" a été rajouté par mes soins)
Au Loch, il y a, depuis plus d'un siècle, un petit port, mais cela n'a pas toujours été le cas. Dans le passé, ici, il n'y avait rien pour faciliter le quotidien des pêcheurs. Dans ce chapitre, je vais vous résumer des activités liées à la pêche des années 1800 à nos jours, des moments clé comme la création d'une digue et d'une station de sauvetage au début du XXème siècle, ainsi que la période faste de la pêche, avec la présence d'unités de plus de 10 mètres.
En 1800, la physionomie de l'anse du Loch était différente. Ce n'est qu’après la construction de la digue et de ses différentes prolongations que le sable est arrivé. En effet, les courants tournoyants augmentent la sédimentation des criques. Un phénomène similaire se produira également à Sainte-Evette derrière la digue, après sa construction dans les années 1950… Une plage de sable s'est créée au fil des années.
Voici une carte de 1800 qui représente la zone de l’actuelle plage du Loch. C'est un avant-projet pour la construction d'une « vraie route », car à cette époque les voies de communication étaient chaotiques. La zone entre le marais du Yun et la mer fluctuait en fonction des marées et des tempêtes. Le passage se faisait à travers les galets sur la plage mais celui-ci était impraticable à marée haute
Avant projet de la route du Loch vers 1800 (remarquez que la chapelle Saint Yves est encore là.)
Dans l'anse, il y a une partie sablonneuse nommée « Ar Boulen » ou « Poulen » (la marre) confinée entre la côte et une zone rocheuse nommée « Ar Platar » (derrière la digue actuelle). C'est dans cette zone que les bateaux de l'époque jetaient l'ancre. Les canots étaient remontés sur les hauteurs de la plage en cas de mauvais temps pour une mise au sec : c'est une zone nommée « Dour Salou », qui est moins marécageuse que les hauteurs de la grande plage du Loch.
Zone « Ar Boulen » placée sur un plan de Beautemps-Beaupré de 1818
Auguste-Jean-Marie, Baron BACHELOT DE LA PYLAIE (1786-1856) est un botaniste, un explorateur, un dessinateur, un archéologue, doté d'une curiosité et d'une ouverture d'esprit peu communes. Il est un grand voyageur, principalement à travers la France mais aussi en Afrique et en Amérique. En 1850, il publie un livre intitulé " Études archéologiques mêlées d'observations et de notices diverses ".
Un passage m'a particulièrement intéressé, car il nous parle de la réalisation d'un port au Loc'h en Primelin.
" Port de refuge à créer dans l'anse du Loc'h, entre Audierne et la pointe du Raz-de-Sein."
Les fréquents et inévitables naufrages qui se répètent annuellement sur les côtes de la baie d'Audierne m'en ont fait étudier avec soin toute la partie occidentale, parce qu'elle est la plus dangereuse. On peut arriver souvent avec l'espoir de la vie sauve, en faisant côte sur cette plage sablonneuse qu'on appelle le plateau de Penhors, et qui s'étend en demi-cercle d'Audierne jusqu'à la pointe de Penmarch ; tandis que toute la partie occidentale de la baie, sur une longueur de quatre lieues et demie, ne nous présente plus jusqu'à la pointe du Raz, excepté quelques anses, qu'une côte formée de rochers à pic, contre lesquels les flots viennent se briser pendant les gros temps, de la manière la plus impétueuse.
J'ai examiné en conséquence toutes ces anses avec attention, et l'une d'elles, qui est en même temps la principale, devient par sa position au milieu de toute cette longueur de côte, par son étendue suffisante, ses autres avantages particuliers, l'endroit où le gouvernement devrait établir cet asile si nécessaire aux navires. On pourrait, par la suite, en faire un bon port de marée, comme Morlaix, Audierne, Quimper, etc. Il faudrait des travaux... ; mais les travaux sont et seront toujours la poule aux œufs d'or du génie, et quand un intérêt majeur, celui du commerce et l'humanité les commandent, il doit les provoquer. Il faut remarquer d'abord que l'entrée de l'anse du Loc'h n'est point barrée, comme celle du port d'Audierne, par un vaste plateau de rochers. Depuis le sud, jusqu'à l'ouest, on peut y venir à pleines voiles ; seulement, par les vents du sud-est, il y aurait à tourner les rochers qui s'avancent de ce côté, au-devant de son ouverture.
Comme les vents entrent en plein dans cette anse, depuis le sud-est jusqu'au sud-ouest, il deviendrait alors indispensable d'établir un brise-lames en face de son entrée, derrière lequel deux môles opposés, partant de la côte et s'entrecroisant à la distance requise pour le passage des vaisseaux, formeraient derrière eux le port de refuge.
Ce port serait ensuite parfaitement abrité des vents d'ouest par la haute chaîne qui porte sur son extrémité la chapelle de Notre-Dame de Bon-Voyage, au delà de laquelle elle forme le reste de la côte jusqu'à la pointe du Raz. Les hauteurs du fond de l'anse le protègent contre les vents du nord ; et celles ensuite qui portent le bourg de Primelin, situé près d'elle du côté de l'orient, ainsi que leur extension qui forme la côte défendraient à leur tour le port que nous indiquons, du côté du nord-est et de l'est.
Cette localité ajoute encore aux avantages que nous venons de mentionner une gorge profonde, par laquelle les eaux d'un bassin, long de trois lieues d'occident en orient, arrivent de deux côtés opposés au fond de l'anse. L'entrée de cette gorge ayant été obstruée par la mer, comme dans presque tous les lieux analogues, par un atterrissement de sables et de galets, on a profité de celui-ci pour l'établissement de la chaussée sur laquelle passe le chemin vicinal qui se rend d'Audierne à la pointe du Raz ; et par derrière se trouve un étang, en partie rempli de roseaux, dont le déblayement ne serait pas difficile. C'est là qu'on pourrait établir un arrière-port, ou des bassins dans lesquels on tiendrait les navires toujours à flot, au moyen d'écluses, ainsi qu'au Havre ; et de chaque côté, l'étendue du bas-fond permettrait de construire des maisons.
Le cours d'eau (le Yun) qui arrive ici par le vallon dont nous venons de parler serait utilisé pour les besoins des pêcheries de sardines, du lieu et du maquereau, dont le port de refuge favoriserait l'établissement. Sauf erreur de ma part, je crois qu'on peut faire beaucoup ici, d'autant plus qu'il y a tant de circonstances où les navires ne peuvent franchir le passage du Raz, et qu'ils trouveraient au Loc'h, tout auprès, un port de relâche parfaitement sûr ! Son entrée présente encore soixante pieds d'eau au maximum d'abaissement des marées des équinoxes, tandis qu'Audierne n'en a que douze environ.
Je dois ajouter encore que c'est le long de la côte de Notre-Dame de Bon-Voyage, et surtout vis-à-vis l'entrée de cette anse, que les navires viennent se mettre à l'abri lorsque les vents et la marée leur refusent le passage du Raz : ils se tiennent dans cette espèce de mouillage jusqu'au moment où il devient praticable.
Comme on m'avait indiqué quelques réduits où l'on croyait possible d'établir un petit port, j'ai suivi toute la côte depuis l'anse qui nous occupe jusqu'au Bec du Raz ; j'ai vu toutes ces criques, et je me fais un devoir de déclarer qu'on n'y obtiendrait que des résultats minimes, avec des frais énormes.
On m'objectera peut-être que la mer brise en avant du Loc'h dans les gros temps ? Elle y brise en effet comme elle brise en avant d'Audierne, en dehors du plateau de la Gamelle; mais ces brisants n'ont pas empêché l'établissement du port, et l'entrée du Loc'h offre l'avantage majeur de n'être pas masquée et interdite pendant les tourmentes, par une autre Gamelle. Je terminerai cet exposé en appuyant ma demande sur la sanction des marins de l'île de Sein et des côtes voisines : ce sont pour moi des autorités compétentes : et le gouvernement, en l'accueillant, offrirait une nouvelle sécurité pour la marine marchande, ainsi qu'aux vaisseaux inférieurs de la marine royale.
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Le Loch est un petit coin qui n’intéressait pas vraiment les photographes de l'époque. Ceux-ci n’étaient intéressés que par Audierne et la Pointe du Raz. La plus ancienne photo du lieu que j'ai pu trouver date de 1895. On peut voir qu'il y a peu de bateaux sur la plage, les autres, non-visibles, on dû être remontés sur la zone « Dour Salou » (derrière l'actuel abri de sauvetage).
Photo de 1895 du futur port, avec représentation de la digue à venir (photo Victor Camus)
Aquarelle d'un canot au Boulen (fin XIX ème)
Au moindre coup de vent, les pêcheurs devaient remonter à la force des bras leur bateau en haut de la plage. Ce n'est qu'en 1895, suite à une pétition des usagers, qu'un projet d’installation d’un treuil de levage, avec 90 mètres de chaîne est étudié.
Plan de l’avant-projet d'un un treuil de levage en 1895
Dans la baie d’Audierne, les tempêtes étaient d’une rare violence et les naufrages très courants. En février 1899 par exemple, une tempête avec des vents du sud rendait l’accostage impossible dans toute la baie d'Audierne. Les bateaux qui n’avaient pu gagner à temps les hauteurs de la plage du Loch ou le port d'Audierne étaient donc condamnés à croiser au large. Conséquence : cinq bateaux ont disparu avec 23 hommes d’équipage. Les canots de sauvetage d’Audierne et de l’Île de Sein, alors munis d’avirons étaient le plus souvent inopérants sur des zones trop éloignées de leur port d’attache. Ce constat justifia la création d’une nouvelle station de sauvetage près du Loch.
En 1903, Mme LEMONNIER, née TOULMOUCHE, de Nantes, tombe amoureuse de ce coin et finance pour les pêcheurs, la construction d’un canot de sauvetage avec abri en 1904. Deux ans plus tard, en 1906, avec l'aide financière du département, une petite digue de 76 m est édifiée. Ce n'est qu’en janvier 1907, qu’arrive le canot de sauvetage Paul LEMONNIER. Daniel THOMAS, mon arrière-grand-père, sera patron de ce canot géré par l'organisme HSB (Hospitaliers Sauveteurs Bretons).
Tout est maintenant réuni pour que cette anse devienne un véritable port de pêche sécurisé.
Photo de l'abri de sauvetage du Loch Primelin
Canot de sauvetage Paul LEMONNIER dans l'anse du Loch
Vue sur la rade du Loch en 1908
Je n'ai pas trouvé pour le moment de photo de la période où l'on peut voir le premier tronçon de la digue (1905-1913). Par contre, à cette époque le peintre Henri MORET a peint un remarquable tableau du Loch en 1911, avec quelques bateaux peints à mi-marée. (voir la photo du tableau en début de chapitre).
La récente mise en sécurité du port attire de plus en plus de bateaux et rapidement la digue est jugée bien trop courte. L’édifice est donc rallongé de 64m pour atteindre 140m en 1913.
Premier allongement de la digue en 1913
C'est par tradition que l'on devenait marin chez nous… Après la Première Guerre mondiale, le « grand village » du Loch et ses nombreux hameaux vivaient en grande partie de la pêche (poissons et crustacés), mais la majorité d’entre eux possédaient également quelques terres, un cheval et des vaches. Le cultivateur côtier avait toujours un œil tourné vers le large. S'il voyait des oiseaux marins se rassembler et s'activer au-dessous de certains endroits, c’était signe de bonne pêche à venir. À cette époque, point de météo France pour anticiper le temps des prochains jours, l'observation du vent, des nuages, d'un halo autour du soleil, était le seul moyen pour deviner au mieux le temps du lendemain. Toutes ces interprétations sont maintenant oubliées : c'est un peu comme demander à un jeune d’aujourd’hui de lire une carte alors qu'il a un GPS intégré à son smartphone.
À cette époque, point de cordage en nylon mais uniquement en chanvre. Pour les entretenir et les préserver des insectes et de la pourriture, ils étaient trempés dans des barriques de vitriol pour assurer leur longévité. Le bris de cordage au mauvais moment pouvait avoir de graves répercussions pour le bateau et les membres de l’équipage qui ne savaient souvent pas bien nager.
Les journaux de l'entre deux guerres évoquent souvent les naufrages des bateaux et de leur équipage dans des contextes météorologiques divers. La récupération des marins était assurée par le canot de sauvetage, par contre en ce qui concerne le bateau il n'était pas facile de le renflouer s’il avait été retourné par les vagues près de la côte. Sa perte était dramatique pour le propriétaire car à l'époque il n’y avait point d’assurance.
Les marins avaient tous leurs vêtements cousus en point de chaînette avec leurs initiales. Cette astuce était le seul moyen pour reconnaître un corps méconnaissable retrouvé sur les côtes suite à un naufrage. Chaque bateau avait également une boîte de rôle (liste de l'équipage) placée généralement dans un bambou obstrué à chaque extrémité. Lorsqu'il y avait un naufrage, loin de la côte et que cette « boîte » était retrouvée c'était une preuve que le bateau était perdu. Pour que la veuve puisse toucher la retraite du marin perdu en mer il fallait absolument que cette « boîte » soit retrouvée.
Les bateaux capistes avaient l'habitude de passer les durs mois d'hiver à l'abri dans l'anse de Locquéran, les ports du Cap n'offrant qu'un abri limité lors des forts coups de vent.
La pêche à la langouste monte en puissance dans les années trente, d'avril à octobre. En 1935, Audierne devient le deuxième port langoustier de France. Au Loch, les bateaux remplissent le port durant la belle saison. Les casiers à langoustes étaient relevés deux à trois fois par jour dans la chaussée de Sein. Il était d'usage en allant et revenant des lieux de pêche de se signer en passant en contrebas de la chapelle de Notre-Dame du Bon Voyage.
Les bateaux du Loch Primelin en 1936 (Photo Eugène Perrot)
En octobre 1936, un nouveau canot de sauvetage à moteur est affecté au Loch : le Capitaine de Vaisseau de KERROS remplace le canot à rame Paul LEMONNIER.
Bateau de sauvetage Capitaine de Vaisseau de KERROS en 1936
Au fil des années, les unités de pêche se modernisent. Les bateaux à voile commencent à être équipés de moteur dès leur construction. Pour les anciennes unités, de grosses modifications sont apportées au pontage et à la motorisation avec plus ou moins de succès. De ce fait les pêcheurs ont vu leurs conditions de travail nettement s'améliorer, le rayon d'action des bateaux s’agrandissant, l'arrivée sur les lieux de pêche est maintenant plus rapide. Les équipages étaient composés de deux à six hommes suivant la taille du bateau. Il y avait aussi souvent un mousse à bord qui embarquait après l’obtention de son certificat d'étude.
Les bateaux du port du loch en 1937 (Photo Eugène Perrot)
Durant la deuxième guerre mondiale tous les bateaux à moteur reviennent à voile car l'approvisionnement en essence était devenu impossible. Les bateaux du Loch n'avaient pas le droit de dépasser une bande côtière fixée par les Allemands à 200m. Les pêcheurs partaient en mer pour la journée mais devaient rentrer avant 17H depuis l’instauration du couvre-feu. Par vent du nord, un jour, le AR SICOUR MAD eut bien du mal à rentrer et dut tirer de nombreux bords pour arriver au port, mais l'heure limite étant passée, les Allemands lui ont tiré dessus avec le petit canon de la casemate du port. Intimidation ou réelle envie du nuire ? L'équipage ne le saura pas mais fort heureusement il n'y eut aucun blessé à bord. Le patron Hervé QUÉRÉ fut convoqué à la kommandantur de Cléden dès le lendemain.
Les bateaux du Loch Primelin en 1942
À la fin de la guerre, l’activité redémarre de plus belle, des unités de plus de 10 mètres arrivent au port qui commence à manquer de place. La pêche devient très active : poissons, crabes, langoustes etc....
Les bateaux en général, étaient peints en noir à l’avant-guerre, avec une espèce de peinture à base de goudron nommé coaltar, ils commencent alors à se colorer.
Les photos deviennent plus nombreuses, mais il y a encore très peu de famille à posséder un appareil-photo.
Les bateaux du Loch Primelin en 1945
Les bateaux du Loch Primelin en 1948
Les bateaux du Loch Primelin (tempête en août 1948)
Le haut du port du Loch en août 1948
Vidéo des bateaux du Loch Primelin en 1948
La station de sauvetage HSB du Loch ferme définitivement au début de 1949, par le transfert du canot CV de KERROS sur Audierne, en février de la même année. Les rails de mise à l'eau, le treuil de levage du canot ainsi que son chariot, seront démontés et feront le bonheur des ferrailleurs. Le local maintenant vide servira de stockage pour le matériel de pêche. L'édifice a déjà presque 50 ans et la toiture prend l'eau, elle sera entièrement refaite et financée par les pêcheurs de Primelin et Plogoff.
L'abri de sauvetage du Loch Primelin à l'après-guerre
En 1951, le Conseil municipal de Primelin réclame l’allongement de la digue, qui reste encore insuffisante car les bateaux de pêche sont plus nombreux à l'après-guerre. Cette partie sera réalisée en béton armé en 1953 à la différence des 2 premiers tronçons, réalisés en pierre. La longueur de la digue est maintenant de 185 mètres. C’est la dimension que nous connaissons aujourd’hui.
Rallongement de la digue du Loch en 1953
Pour les crustacés, les casiers étaient faits main durant les mauvais jours et l'hiver. Chacun avait son savoir-faire et sa technique pour leur réalisation, ils étaient tous un peu différent d'une série à l'autre. Les casiers à langoustes étaient plus grands que les casiers à crabes.
Pierre CUZON (le premier propriétaire de l’hôtel Ker-Moor du Loch Plogoff) achète dans la région de Limoges, du bois, pour la construction des casiers. Les marins les confectionnent pour le bateau dans lequel ils sont matelots, mais en réalisent aussi pour le compte de Pierre CUZON, pour être vendus dans d'autres ports comme Audierne, Douarnenez ou Camaret.
Il faut savoir que les matelots devaient avoir leur propre casier pour travailler. Après guerre, le nombre de casiers autorisé par personne augmente : 50 possible (semble t-il) dans les années 1960 !. Pour nos gros bateaux du Loch, ils ne devaient pas pouvoir en mettre plus de 120 sur le pont et en cale, ou alors faire plusieurs voyages pour en embarquer davantage et travailler avec plus de casiers.
Mais pour tous les utiliser, d'avril à juin, il fallait une grande quantité de boëtte (d’appât) pour bien travailler. Les pêcheurs devaient donc faire des campagnes de maquereaux à la ligne ou au filet trémail pour d'autres poissons. Les poissons nobles étaient vendus et les autres mis en tonneaux de 200 litres, légèrement salés pour la conservation. Mais cela ne suffisait pas : une fois par semaine, à tour de rôle pour plusieurs bateaux, les patrons envoyaient leur fourgonnette jusqu’au Guilvinec, pour récupérer des têtes de raie, des restes de grondin ou de maquereaux. Il n'y a pas de secret, car les meilleurs boëttage permettaient de réaliser les meilleures pêches. Dans le même casier, était placé des poissons différends, de chaque côté, pour avoir le plus de chance d’attirer homards et langoustes en même temps.
La pêche au casier nécessitait une bonne connaissance des fonds marins et des courants très importants dans les parages du Raz de Sein. Ils étaient mouillés par filières. Une filière est un ensemble de 40 ou 50 casiers reliés chacun à la corde de filière par une “estrope” que l’on détache du cordage à l’arrivée du casier à bord. Les casiers sont lestés au moyen d’un gros galet de chaque côté pour lui permettre de reposer correctement sur le fond. Les deux extrémités de la filière sont marquées par des flotteurs munis de pavillons pour être repérés sur l’eau, ces flotteurs sont appelés “but”.
Tri des langoustes sur l'AR SICOUR MAD en 1952 (photo Léa Quérré/Perfesou)
Tri des langoustes sur le SERGENT GOUARNE en 1951 (Photo Jeanne Douarinou/Yven)
Jean Yves (dit Yvon) GUEZENGAR au casier sur le SERGENT GOUARNE vers 1955
Petite anecdote : dans les filets, il n'était pas rare de remonter des cormorans noyés, emprisonnés dans le trémail, en essayant d'attraper un poisson. Si cela se passait dans les parages de l’île de Sein, le bateau faisait un petit détour pour les déposer sous le manteau, en échange de quelques pièces. Les îliens en raffolaient.
Hervé QUERE sur l'AR SICOUR MAD (photo Léa Quéré/Perfesou)
Marin du Loch sur l'AR SICOUR MAD (Jean YVEN - Noël DANZE - Jean Yves (dit Yvon) GUEZENGUAR) - vers 1955
Les bateaux du Loch partaient en général pour la journée, mais il arrivait qu'ils restent pour la nuit sur l’île de Sein. Certains bateaux, comme le SERGENT GOUARNE, étaient équipés d'un coin cuisine et couchette. Au retour de pêche, il fallait stocker les crustacés dans de grands viviers en bois, aux formes très caractéristique, que l'on pouvait apercevoir dans le port ou sur la rade. Les professionnels de la pêche entreposaient les crustacés comme cela, en attendant leur vente aux viviers de Pors Traz ou d'Audierne.
Les viviers du port du Loch en 1953
L'équipage de l'AR SICOURMAT en peinture sur un vivier devant l'abri de sauvetage - Années 1950
Hervé QUERE - Jean (dit le rouquin) ? - Jean KERSAUDY - Jacques LOZAC
Marin du Loch (Hervé QUERE - Patrick YVEN ? - Noël DANZE - Jean Yves (dit Yvon) GUEZENGUAR) vers 1955
Les bateaux ne rentraient pas tous les soirs au port, en effet, en fonction de leur taille, de la place dans le port et des heures de marées du lendemain matin, ils étaient obligés de rester en rade sur leur corps-mort.
Bateaux dans la rade du Loch en 1952
Bateaux dans la rade du Loch en 1953
Certains bateaux, comme le SERGENT GOUARNE et le AR SICOURMAD allaient à St Brieuc, pendant les campagnes de la coquille St jacques, d’octobre à mars dans les années 1950.
Les bateaux du Loch Primelin en 1951
Les bateaux du Loch Primelin en 1953
Les bateaux du Loch Primelin en 1958
Les bateaux du Loch Primelin en 1958
Les bateaux du Loch Primelin en 1959
Les bateaux du Loch Primelin vers 1960
Les bateaux du Loch Primelin en 1963
Les bateaux du Loch Primelin en 1964
La deuxième partie des années 1960, sera la fin de l'âge d'or : à cette époque, les langoustes avaient déjà pratiquement disparu des eaux du Cap-Sizun, du fait de la sur-pêche. La période florissante fut, sans conteste, celle qui suivit la dernière guerre. 1000 à 1300 Kg d'araignées étaient couramment capturées à cette époque en une journée. En 1967, dans le même temps, 100 Kg constituaient un record. Pour la langouste, il en va de même : 1000 Kg à l'époque en 8 jours, en 1967 : 50 Kg. Depuis une dizaine d’années, le tonnage annuel diminue sans cesse. L’orientation vers la daurade n'a pas suffi.
À la fin de la guerre, plus de 30 bateaux à moteur et plusieurs voiliers de pêche fréquentaient le Loch, en 1967, il ne restait plus que huit gros bateaux qui accostaient encore à ce port.
Les dernières grosses unités dans le port du Loch Primelin en 1967
Le CHOUERC'H GWENNECK de Eugène CISSOU, sera la dernière grosse unité à terminer sa carrière au Loch en 1968, il restera bien sûr des bateaux avec 2 ou 3 pécheurs, mais plus d'unité ayant un équipage de 5 ou 6 hommes.
L'équipage du CHOUEC'H GWENNECK en 1968
Dans les années 1970, il y a toujours des pêcheurs professionnels au Loch, mais il y a une subtilité, puisqu’on trouvait en fait deux sortes de catégorie de bateaux et de patrons …
- Certains marins de commerce et de la royale en retraite, achetaient des bateaux de pêche pour avoir un complément de revenu (avec pour les accompagner 1 ou 2 personnes comme matelot), mais durant l’hiver, l'activité s’arrêtait : les bateaux se retrouvaient en hivernage derrière le pont d'Audierne à Locqueran, en attendant les beaux jours de l'année suivante.
- Et les autres patrons, qui n'avaient pas d'autres ressources que leur pêche. En hiver, c'était beaucoup plus difficile financièrement pour eux.
Les bateaux du Loch Primelin en 1971
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C'est en 1973 qu'arrive au Loch les premiers canots en « plastique » Pen-Sardin pour la pèche de plaisance. Cette année-là, 3 personnes du port en font l'acquisition :
- Erneste Bigot de Porzh Be à Primelin avec LA GODILLE (il navigue toujours en 2020 avec ce canot.)
- Francis Dol (dis Zizi) de Keramu à Primelin avec le TRI MARTOLOD.
- Gérard BIGOT du Loch Plogoff avec le KARREC FILY
Ce type de canot, construit à Pouldavid, au chantier de George BALOIN (il a une maison sur Plogoff) était idéal pour les sorties en mer entre copains, pour la pêche au crabe et tirer quelques maquereaux. Ce canot de 3.85 m est pratiquement sans entretien, en quelques années, pratiquement toutes les coques en bois disparaissent pour ce type de barcasse. D’autres modèles suivront :
- Jabadao.
- Super Jabadao (avec un moteur fixe).
- Triskell cabine.
- Glazig cabine.
- … Etc
Un « chapelet » de Pen-Sardin au mouillage à l'entrée du port du Loch en 1988.
Le port du Loc’h devient un port de plaisance : en effet, la pêche professionnelle, avec des petites unités, est devenue de moins en moins rentable, dans un port fortement tributaire des marées. En avril 1976, se constitua une association type 1901 « le comité des usagers du port », et ce, dans le but de favoriser et de solliciter toute action visant à l’entretien, l’aménagement et l’amélioration du port. Le sable avait au fil des années envahi le fond du port (n’était même plus visible, le mur accolé à la digue) à tel point que les places disponibles étaient en diminution, alors que la demande était en progression constante.
Depuis 1976, voici les différents présidents qui se sont succédé à la tête de l’association :
- Mathieu LOZAC
- Marcel TREANTON
- Jean LETARD
- Michel NEDELEC
- Gérard SCUILLER
- Jean-Paul UGEN
- Jean-Pierre YVEN
- Daniel GUEZENGAR
Une des premières actions du premier bureau, fut le désensablement du port. Le sable évacué par les camionneurs sera commercialisé auprès des paysans, afin de rentabiliser les engins : camions, pelleteuses… Une partie importante de ce sable servi également à la création de la nouvelle déviation de la route D784.
En début 1977, la mise en place de 13 chaînes traversières permis pour l’été suivant, d’augmenter le nombre de places à 131 mouillages. Malgré tout, le problème du désensablement se retrouve tous les ans : exemple en 1984, il fallut ré-évacuer près de 4 000 m3 de sable.
Les bateaux du Loch Primelin en 1978
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« Ça bouge au Loch »
En avril 1980, un club nautique se crée sous la présidence de Francis PERHERIN, propriétaire du bar du port du Loch Primelin : « je vous en reparlerai dans un futur chapitre ».
Cette même année durant la période estivale, il y aura au Loch, la première soirée du « souper du pécheur » (futur poissonnade), organisée par le comité d’animation de Primelin. De 1981 à 2007, début juillet, une autre fête se met également en place « La fête du port » : repas à l’ancienne, accompagné de chants de marin. Cette fête organisée par les usagers du port, finira par fusionner avec la « poissonnade » qui ce déroule encore aujourd'hui, le premier vendredi du mois d’août sur le parking du port.
La poissonnade du Loch en 2002
La poissonnade du Loch en 2003
Affiches de la fête du port en 2003 et 2007
La fête du port du Loch en 2003 - Les 100 ans du port
En 1981, un grand parking est réalisé au sud de l'abri de sauvetage, suivi en juin 1982, par la construction d'un local pour l'association du port, ainsi qu'un sanitaire.
Les bateaux du Loch Primelin en 1982
En 1985, pour lutter contre l’ensablement, Jean THOMAS proposera la construction d’un épi entre la plage et le port, pour faire barrière au sable venant de cette plage. Le projet est soumis à la direction de l’équipement du Finistère. Mais le devis de 1 million de francs est jugé trop cher : le projet est abandonné.
Avant projet pour le port du Loch en 1985
La même année, un avant-projet pharaonique est imaginé par la région, pour faire du Loc’h un vrai port de plaisance. Un coût estimé de 31 millions de francs est avancé ! Ce projet ne verra jamais le jour.
Avant projet de 1985 pour le port du Loch
Les bateaux du Loch Primelin en 1987
En 1988 sous la pression des usagers du port, la construction d’une cale facilitant l’accès au port est décidé par le bureau. Les dimensions de l’ouvrage seront de 48 m de longueur pour 5 m de large. L’emplacement partira du terre-plein existant, devant l’ancien abri de sauvetage, pour venir mourir sur les rochers affleurant au nord du port, dans une direction plus ou moins parallèle à la digue. Le financement fut assuré par les usagers eux-mêmes, avec leurs cotisations annuelles et par un emprunt sur dix ans, souscrit par la commune de Primelin.
Mon père, Jean THOMAS, alors trésorier de l’association, en fit les plans et proposa d’utiliser les galets de la grève derrière la digue, comme matière première pour en minimiser les coûts. La construction réalisée par l’entreprise Scoarnec coûta la somme de 158 000 F (sur les 115 800 F prévus). Entre eux, les marins de l'époque appelaient cette construction « la cale Jean THOMAS ».
Avant projet de la cale pour le port du Loch en 1988
Pendant la phase de réalisation des fondations, l’entrepreneur mis à jour les plots servant de supports aux rails de l’ancien bateau de sauvetage (4 sont visibles sur la photo ci-dessous) certains on été engloutis sous le béton, car l’alignement de la cale ne correspond pas tout à fait à l’axe des anciens rails.
Construction de la cale du Loch en fin 1988
Depuis 1988, le port est resté dans sa configuration actuelle, si ce n'est l'ajout d'une petite plate-forme pour le rangement et le stockage des annexes en 2010.
Plan des mouillages du port du Loch en 1988
Plan des mouillages du port du Loch en 1998
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Les enfants du Loch avaient naturellement les yeux tournés vers la mer, en effet, très jeunes, les copains se retrouvaient au port pour « faire comme les grands », en observant l'activité portuaire. L'apprentissage de la godille se faisait très jeune.
Les gamins du Loch devant le Karreg Filly en 1900
Les gamins du Loch en mer en 1945
Il y avait aussi beaucoup de bêtises à faire derrière la digue, à l’abri des regards des anciens. Par exemple : accrocher aux extrémités d’une ficelle de 20 mètres deux têtes de maquereaux et jeter l'ensemble au nez des goélands affamés. La rigolade était assurée : voir s’envoler les deux volatiles piégés et reliés ensemble par la ficelle. Un mordousec fraîchement pêché était rejeté à la mer, après que les gamins lui est rajouté un bouchon en liège sur son épine dorsale. Pas simple pour ce petit poisson de redescendre au fond de l'eau pour se cacher dans les rochers, les goélands avaient l’œil pour repérer ses petits encas.
Mais il fallait aussi gagner sa croûte : les jeunes partaient en équipe chercher des escargots dans les interstices des murs en pierres sèches pour le compte du bar-tabac du Galion, qui les revendait au poissonnier du coin.
Il y avait aussi la période de la chasse aux grives, avec comme appât un corps d’escargot, placé sur un hameçon posé à même le sol. Il y avait à l'époque 4 ou 5 espèces de grives différentes à migrer, lors de certaines saisons par le Cap-Sizun. J’ai oublié leur surnom en breton (La mauvis, la litorne, la musicienne, la draine …). Ces volatiles étaient très appréciés en cuisine par les anciens
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Même si ce chapitre était normalement dédié aux « histoires de mer et marins du loch », j'aimerais profiter (un peu en hors-sujet) pour vous raconter une petite histoire de famille lié au feu de la Saint-Jean. Cette pratique maintenant oubliée était importante dans le passé, elle unissait les villages et les hameaux du Cap-Sizun, comme beaucoup d'autres petites choses tout au long de l'année. Au premier jour de l’été, cet événement incontournable était encore très pratiqué dans les années 1960 : qui fera le plus grand feu ? Et lequel sera le plus impressionnant dans les alentours… C'est la plus vielle grand-mère du village qui allumait le feu par tradition. Cette pratique s'est arrêtée très rapidement au tout début des années 1970, relayant cette pratique au passé.
Mon oncle, Dany THOMAS, garagiste au Loch de Primelin (à la place de l'actuel Intermarché) profitait de cet événement pour brûler tous les vieux pneus usagés de l’année, écoulés à l'endroit de la Pointe du Paradis à Primelin. Il était le seul à avoir une fumée différente des autres feux de Saint-Jean dans le coin du Loch. En 1974, il n'y avait plus que lui à le faire. Cette année-là en soirée, un avion militaire passa le long de la côte à très basse altitude, au moment où mon oncle venait d'allumer son feu. En quelques minutes, le brasier dégageait déjà une impressionnante colonne de fumée noire. Un riverain téléphona au pompier d’Audierne, croyant que l'avion venait de s'écraser.
À leur arrivé, toutes sirènes hurlantes, 15 minutes plus tard, ils virent mon oncle le visage noir de suie à côté de la fournaise… En accourant, ils lui posèrent la question :
- Vous êtes le pilote ?
- Quoi ?
- Vous avez réussi à sauter en parachute avant le crash ?
- Hein ? …
Il fallut de longues minutes avant que chaque partie comprennent ce qu'il venait de se passer. Ce fut la dernière fois qu'il y eut un feu de Saint-Jean au Loch … Mon oncle n'en refit jamais plus.
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Le port du Loch Primelin 1895-2020 (125 ans d'écart entre les deux photos)
Le port du Loch Primelin sous un ciel d'orage durant l'été 2018
Je remercie Morgane Moallic/Nedelec pour son aide orthographique pour ce chapitre.
La préparation de ce chapitre m'a pris beaucoup de temps : j'ai mis plus de 2 ans à collecter, recouper toutes les informations que je viens de vous présenter. J'ai profité de cette sombre période actuelle du confinement lié au COVID-19, pour finaliser ce travail. Mais ce n'est pas tous à fait fini : je vous propose maintenant de découvrir dans le chapitre suivant, quelques photos et informations sur les bateaux des professionnels qui sont passé au port du Loch des année 1930 jusqu'en 1990 :
Il y a actuellement en France et en outre-mer, 45 quartiers d'immatriculation maritime. Sur le loch et au Cap-Sizun, l'identification de nos bateaux commence par AD, mais cela n'a pas toujours le cas : les immatriculations des bateaux du Cap-Sizun commence en 1831, peut être par les indicatifs Q ou QA (nous dépendons alors de Quimper.)....
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